Coût de la vie : comment en mesurer les changements ?
La mesure de l’inflation la plus fréquemment évoquée est l’indice des prix à la consommation, ou IPC. L’IPC est calculé par les organismes nationaux de statistique en fonction des prix d’un panier fixe de biens et de services qui représente les achats d’une famille moyenne de quatre personnes.
Ces dernières années, les statisticiens ont prêté une grande attention à un problème complexe : la variation du coût total d’achat d’un panier de biens et de services au fil du temps n’est, en théorie, pas tout à fait équivalente à celle qui opère au niveau du coût de la vie. En effet, le coût de la vie représente ce qu’une personne ressent vis-à-vis de sa consommation : a-t-il ou elle un sentiment équivalent de satisfaction ou d’utilité ?
Pour comprendre la distinction, imaginez qu’au cours des 10 dernières années, le coût d’achat d’un panier fixe de marchandises a augmenté de 25 % et votre salaire a également augmenté de 25 %. Votre niveau de vie personnel est-il constant ?
Si vous n’achetez pas nécessairement un panier fixe identique chaque année, un calcul de l’inflation basé sur le coût d’un panier fixe de marchandises peut être une mesure trompeuse de la façon dont votre coût de la vie a changé. Deux problèmes se posent ici : le biais de substitution et le biais qualité/nouveaux biens.
Lorsque le prix d’un bien augmente, les consommateurs ont tendance à en acheter moins et à chercher des biens de substitution. Inversement, à mesure que le prix d’un bien diminue, les ménages auront tendance à en acheter davantage. Ce schéma implique que les produits dont les prix augmentent en général devraient avoir tendance à devenir moins importants dans le panier global des biens utilisés pour calculer l’inflation, alors que les produits dont les prix baissent devraient devenir plus importants.
Prenons l’exemple d’une augmentation du prix des pêches à 100 € par kilo. Si les consommateurs étaient totalement inflexibles dans leur demande de pêches, cela conduirait à une forte hausse du prix des denrées alimentaires pour les consommateurs. Sinon, imaginez que les ménages sont totalement indifférents au fait qu’ils ont des pêches ou d’autres fruits. Dans ce cas-là, si le prix des pêches augmente, les consommateurs achèteront d’autres fruits à la place et le prix moyen de leurs denrées alimentaires ne changera pas.
Un panier fixe et constant de marchandises suppose que les consommateurs sont contraints d’acheter exactement les mêmes produits, indépendamment des variations des prix, ce qui n’est pas une hypothèse très probable. Le biais de substitution tend à surestimer la hausse du coût réel de la vie d’un consommateur, car il ne tient pas compte du fait que l’on puisse trouver une alternative aux biens dont le prix relatif a augmenté.
L’autre problème majeur que pose l’utilisation d’un panier fixe de marchandises comme base de calcul de l’inflation est la façon de traiter l’arrivée de versions améliorées de produits plus anciens ou tout à fait neufs. Considérons le problème qui survient si une céréale est améliorée par l’ajout de 12 vitamines et minéraux essentiels, mais qu’elle coûte 5 % de plus par boîte. Il serait trompeur de considérer tout le prix qui en résulte comme une inflation, parce que ce nouveau prix est fixé pour un produit de qualité supérieure, ou du moins différente. Idéalement, nous aimerions savoir quelle part de la hausse de prix est due à un changement de qualité, et quelle part est due à une simple augmentation de ce prix. Les bureaux de statistiques qui sont responsables du calcul de l’indice des prix à la consommation, ou IPC, une mesure de l’inflation calculée en fonction du niveau de prix à partir d’un panier fixe de biens et de services qui représente les achats du consommateur moyen, doivent faire face à ces difficultés pour s’adapter aux changements de qualité.
Un nouveau produit peut être considéré comme une amélioration très importante de la qualité – de quelque chose qui n’existait pas à quelque chose qui existe maintenant. Toutefois, le panier de marchandises qui a été fixé par le passé ne comprend évidemment pas les nouveaux biens créés depuis lors. Le panier de biens et de services utilisés dans l’IPC est révisé et mis à jour au fil du temps, de sorte que de nouveaux produits sont progressivement inclus. Mais le processus prend un certain temps.
Par exemple, aux États-Unis, les climatiseurs étaient largement vendus au début des années 1950, mais n’ont été introduits dans le panier de marchandises de l’IPC qu’en 1964. Les magnétoscopes et les ordinateurs personnels étaient disponibles dès la fin des années 1970 et largement vendus au début des années 1980, mais ils ne sont entrés dans le panier de marchandises de l’IPC qu’en 1987. En 1996, il y avait plus de 40 millions d’abonnés aux réseaux de téléphonie aux États-Unis, mais les téléphones portables ne faisaient pas encore partie du panier de marchandises de l’IPC. Le défilé des inventions s’est poursuivi, l’IPC accusant inévitablement un retard de quelques années.
L’arrivée de nouveaux produits crée également des problèmes en ce qui concerne la précision de la mesure de l’inflation. La raison pour laquelle les ménages achètent de nouveaux produits est probablement que les ceux-ci offrent un meilleur rapport qualité-prix que les produits existants. Ainsi, si l’IPC néglige les nouveaux biens, il néglige l’un des moyens d’améliorer le coût de la vie. En outre, le prix d’un nouveau bien est souvent plus élevé lorsqu’il est introduit et il diminue au fil du temps. Si le nouveau bien n’est pas inclus dans l’IPC pendant plusieurs années – alors que son prix diminue – l’IPC pourrait passer à côté de cette diminution de prix.
Le biais de qualité/des nouveaux biens signifie que l’augmentation du prix d’un panier de biens et services prédéfini et fixe surévalue la réelle augmentation du coût de la vie, car il ne prend pas en compte la manière dont ces changements améliorent la qualité de vie des consommateurs.
Comment les organismes nationaux de statistique mésurent-ils l’indice des prix à la consommation ?
Lorsqu’un organisme national de statistique (tel que Stabel en Belgique ou l’Insee en France) calcule l’indice des prix à la consommation, sa première tâche est de définir un panier de biens représentatif des achats d’un ménage moyen. En Belgique, par exemple, on a recours à une enquête nationale auprès de 6000 ménages qui fournissent des informations détaillées sur leurs habitudes de consommation. Les dépenses de consommation sont divisées en douze groupes principaux, exposés ci-dessous, lesquels sont ensuite découpés en 235 catégories individuelles. L’année de référence en Belgique est actuellement 2013.
Pour chacun de ces 235 postes de dépense, Statbel choisit plusieurs centaines d’exemples très précis de ces biens et en analyse les prix. Ainsi, pour les céréales de petit-déjeuner, qui se trouvent dans le groupe de l’alimentation et des boissons, on sélectionne plusieurs centaines d’exemples de céréales. Par exemple, prenons le prix d’une boîte de 450 gr de Coco Pops vendue au Delhaize. Les particularités du produit, sa taille ou son poids ainsi que le magasin choisis sont sélectionnés statistiquement pour refléter ce que les gens achètent, et où ils achètent. Le panier de biens de l’ICP consiste donc en 70 000 produits – plusieurs centaines de produits spécifiques répartis dans plus de 235 catégories.
L’étape suivante consiste à récolter les données concernant les prix. Chaque mois, les enquêteurs se rendent dans 10 000 magasins (ou les appellent) dans 55 localités réparties sur l’ensemble du territoire belge pour collecter les prix de 70 000 produits. Une enquête auprès de 1800 locataires est également menée afin de recueillir des informations à propos des loyers.
L’ICP est ensuite calculé en prenant les 70 000 prix des produits individuels et en les combinant aux indices de prix des 235 groupes généraux – à l’aide d’une pondération déterminée par les quantités de ces produits achetées et en tenant compte de facteurs tels que la substitution des biens et l’amélioration de la qualité. Ensuite, les indices de prix pour les 235 groupes sont regroupés et donnent un ICP général.
Selon le site Internet Statbel (où est présenté l’indice des prix à la consommation pour la Belgique), voici les douze catégories sur lesquelles se basent les enquêteurs :
- Produits alimentaires
- Boissons alcoolisées et tabac
- Articles d’habillement et chaussures
- Logement, eau, électricité, gaz et autres combustibles
- Meubles, articles de ménage et entretien courant du logement
- Santé
- Transports
- Communications, Loisirs et culture, Enseignement, Hôtels, restaurants et cafés, Biens et services divers

L’indice des prix à la consommation et l’indice d’inflation de base
Imaginez que vous soyez en train de conduire un camion d’entreprise à travers le pays – vous feriez probablement attention aux prix proposés dans les restaurants d’autoroute et au tarif des chambres de motel, ou encore à l’état de fonctionnement du camion. Toutefois, le gérant de l’entreprise a peut-être d’autres priorités. Il s’intéresserait davantage à la ponctualité plutôt qu’à la nourriture et au logement du chauffeur. En d’autres termes, le gérant prêterait attention à la production de l’entreprise, tout en ignorant les étapes transitoires qui affectent le chauffeur mais pas le but final de l’entreprise.
Dans un sens, c’est une situation similaire qui se produit lorsque l’on mesure l’inflation. Comme nous l’avons appris, l’ICP mesure les prix qui ont une incidence sur les dépenses quotidiennes des ménages. L’indice d’inflation de base est un peu différent : il est généralement calculé en se basant sur l’ICP, mais en excluant les variables économiques instables. Ainsi, les économistes obtiennent un meilleur aperçu des tendances sous-jacentes des prix qui ont une incidence sur le coût de la vie.
Parmi les variables exclues, on trouve notamment les prix d’énergie et d’alimentation – lesquels peuvent grandement varier d’un mois à l’autre en fonction de la météo. Kent Bernhard explique dans un article que pendant l’ouragan Katrina en 2005, un point clé d’approvisionnement en gazole a presque été détruit. Les prix de l’essence ont alors monté en flèche à travers le pays, allant jusqu’à augmenter de 20 % par litre du jour au lendemain. Cette augmentation n’était alors pas causée par une politique économique, mais était le résultat d’un événement de courte durée. Dans ce cas-ci, l’ICP du mois en question enregistrerait le changement comme coût imputé aux ménages à cause d’un événement, mais l’indice d’inflation de base ne changerait pas. Par conséquent, les décisions de la Réserve fédérale américaine concernant les taux d’intérêt ne sont pas influencées. De la même manière, les sècheresses peuvent également provoquer une augmentation des prix d’aliments qui, si temporaire, n’affectera pas les capacités économiques d’une nation.
En 1999, Ben Bernanke, alors président de la Réserve fédérale des États-Unis, souligne à propos de l’indice d’inflation de base que : “Il offre un meilleur indicateur pour les politiques monétaires que les autres indices, puisqu’il mesure une inflation sous-jacente plus durable plutôt que les influences transitoires sur les niveaux de prix.” Bernanke ajoute que l’indice d’inflation de base permet de faire comprendre que chaque choc inflationniste n’a pas besoin d’une réponse de la Réserve fédérale, puisque certains changements de prix sont temporaires et ne font pas partie intégrante d’un changement structurel de l’économie.
En somme, l’ICP et l’indice d’inflation de base sont tous les deux importants, mais ils n’ont pas la même utilité. L’ICP permet aux ménages de comprendre le coût de vie global d’un mois à l’autre, tandis que l’indice d’inflation de base est une mesure qui permet de guider d’importantes politiques publiques.
Solutions pratiques pour répondre aux biais de substitution et à ceux causés par le changement de qualité ou l’arrivée de nouveaux biens
Au début des années 2000, le Bureau of Labor Statistics (organisme national de statistique aux États-Unis) utilisait des méthodes mathématiques alternatives pour calculer l’indice des prix à la consommation qui étaient plus compliquées que la simple addition des coûts d’un panier de biens fixe afin de permettre la substitution de certains biens. Le BLS mettait également à jour le panier de biens liés à l’ICP fréquemment afin que les biens améliorés ou nouveaux soient inclus plus rapidement.
Pour certains produits, le BLS menait des enquêtes pour essayer de mesurer l’amélioration de la qualité. Par exemple, avec les ordinateurs, une étude économique peut permettre d’ajuster les changements en termes de vitesse, de mémoire, de taille d’écran ou d’autres caractéristiques du produit, et calculer ensuite le changement de prix une fois que ces modifications ont été prises en compte. Toutefois, ces ajustements sont inévitablement imparfaits, et la façon dont ils devraient être faits est souvent source de controverse parmi les économistes.
Au début des années 2000, le biais de substitution et celui lié au changement de qualité ou à l’arrivée de nouveaux produits avaient été quelque peu réduits. Depuis lors, l’augmentation de l’ICP exagère l’inflation réelle de seulement 0,5 % par an. Au cours d’une ou plusieurs années, cela ne représente pas grand-chose. Par contre, au cours d’une décennie ou deux, même un demi-pour cent par an constitue un montant plus important. De plus, l’ICP suit les prix depuis des lieux physiques et non sur les sites tels qu’Amazon, où ils peuvent être plus faibles.
Lorsque l’on mesure l’inflation – et d’autres données économiques – un compromis s’impose entre la simplicité et l’interprétation. Si le taux de l’inflation est calculé sur la base d’un panier de biens fixe et immuable, le calcul de l’inflation est alors clair – mais c’est là que le problème des biais liés à la substitution et à au changement de qualité ou à l’arrivée de nouveaux biens se pose.
Autres indices de prix
Le panier de biens utilisé par l’indice des prix à la consommation représente un ménage typique moyen. Cela veut donc aussi dire qu’il ne reflète pas exactement le mode de vie de chacun. Lorsqu’il s’agit de calculer un niveau moyen d’inflation, cette approche est efficace. Toutefois, que faire si vous voulez en savoir davantage sur l’inflation subie par un certain groupe, comme les personnes âgées, les personnes en situation de pauvreté, les familles monoparentales ou les latinos ? Dans certaines situations particulières, l’indice de prix basé sur le pouvoir d’achat du consommateur moyen peut sembler pas tout à fait juste.
À ce problème, il y a une solution directe. Si l’ICP ne répond pas au but recherché, vous pouvez inventer un autre indice, sur la base d’un panier de biens pertinent pour le groupe d’intérêt. En effet, les offices nationaux de statistique publient plusieurs indices de prix expérimentaux – certains pour des groupes spécifiques tels que les personnes en situation de pauvreté, d’autres pour différentes zones géographiques, ou encore pour certaines catégories plus larges de biens comme la nourriture ou le logement.
Les offices nationaux de statistique calculent plusieurs indices de prix qui ne sont pas basés sur des paniers de biens de consommation. Par exemple, l’indice des prix à la production (IPP) repose sur les prix du matériel et des intrants payés par les producteurs de biens et produits. Il peut être divisé en indices de prix pour les différentes industries, marchandises et étapes de traitement – telles que les biens finis, les biens intermédiaires et les matériaux bruts nécessaires à d’autres transformations.
Il existe un indice des prix internationaux basé sur les prix des marchandises exportées ou importées. Un indice du coût de la main-d’œuvre mesure l’inflation des salaires dans le marché du travail. Le déflateur du PIB est quant à lui un indice de prix qui comprend toutes les composantes du PIB. Aux États-Unis, le MIT Billion Prices Projet est un projet plus récent pour mesurer les prix : les données sont collectées en ligne chez des revendeurs, et sont ensuite assemblées pour donner un indice comparable à l’ICP.
Quelle est la meilleure mesure de l’inflation ? Si vous êtes intéressé par la mesure de l’inflation la plus précise, référez-vous au déflateur du PIB. En effet, celui-ci collecte les prix des biens et des services produits. Rappelez-vous toutefois que le déflateur du PIB n’est pas une bonne mesure du coût de la vie, puisqu’il inclut les prix de nombreux produits qui ne sont pas achetés par les ménages – tels que les avions, les camions de pompiers, les bâtiments d’usine, les complexes de bureaux et les bulldozers, parmi d’autres choses.
Si c’est plutôt une mesure de l’impact de l’inflation sur les ménages qui vous intéresse, utilisez l’ICP qui n’intègre que des prix de produits achetés par les ménages. C’est pour cette raison que l’ICP est parfois appelé l’indice du coût de la vie. Comme le BLS l’indique sur son site Internet : “La ‘meilleure’ mesure de l’inflation pour une application donnée dépend de l’utilisation voulue des données.”
À retenir
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L’indice des prix à la consommation ou ICP est une mesure de l’inflation calculée par les organismes nationaux de statistique sur la base des niveaux de prix d’un panier fixe de biens et de services qui représentent les achats d’un consommateur moyen.
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L’indice d’inflation de base est une mesure de l’inflation généralement calculée en prenant l’IPC et en excluant les variables économiques volatiles, telles que les prix des denrées alimentaires et de l’énergie, pour mieux mesurer la tendance sous-jacente et persistante des prix à long terme.
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La qualité/biais des nouveaux biens provoque l’inflation calculée à l’aide d’un panier fixe de marchandises au fil du temps pour exagérer la véritable augmentation du coût de la vie parce que l’amélioration de la qualité des produits existants et l’invention de nouveaux produits ne sont pas prises en compte.
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Le biais de substitution entraîne un taux d’inflation calculé à l’aide d’un panier fixe de marchandises au fil du temps qui amplifie la véritable augmentation du coût de la vie parce qu’il ne tient pas compte du fait que les ménages peuvent trouver des biens substituables aux biens dont les prix augmentent de manière disproportionnée.
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Plusieurs indices de prix ne sont pas basés sur des paniers de biens de consommation. Le déflateur du PIB est basé sur toutes les composantes du PIB. L’indice des prix des producteurs est basé sur les prix des produits et des intrants acquis par les producteurs de biens et de services. L’indice de coût de l’emploi mesure l’inflation salariale sur le marché du travail. L’indice des prix internationaux est basé sur les prix des marchandises exportées ou importées.